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A generic impromptu

for solo harpsichord

jeudi 19 avril 2018, par Valentin.

Cette brève partition pour clavecin seul a été écrite en 2015 pour servir de générique à un podcast de vulgarisation scientifique.

Voici une petite pièce que je n’avais pas prévu de publier en tant que telle, mais après l’avoir laissée dans un coin pendant quelques années j’en suis venu à craindre d’oublier son existence même. Vous trouverez ici la partition (le code source LilyPond est inclus dans le fichier PDF), précédée d’un enregistrement interprété au clavecin par Richard Siegel et moi-même.



Historique et description

[Cliquez pour déplier.]

J’ai déjà eu l’occasion de présenter ici mon ami Nicolas Graner, membre éminent de la liste Oulipo depuis 1996 et qui a participé ces dernières années aux événements que je propose avec l’Oumupo au Palais de la découverte. (Nicolas et moi avons également écrit ensemble une comédie musicale, mais ça je vous en reparlerai une autre fois.)

Dans la vie, Nicolas travaille à la Faculté des Sciences de l’université d’Orsay, où il anime à lui (presque) tout seul un service de vulgarisation proposant des conférences, expositions et publications en ligne — notamment un podcast audio. Et à ce titre qu’il m’a demandé, à l’automne 2015, si je n’aurais pas une idée de musique pouvant lui servir de générique.

C’est là le genre de requête que j’ai tendance à fuir d’ordinaire : en effet, je ne pratique pas le son en boîte. Ma compétence se borne à jouer des partitions, et parfois à en écrire (les premières étant de préférence distinctes des secondes) ; en d’autres termes je ne côtoie — officiellement — la musique que sous forme écrite. Alors certes, j’aurais pu dans le cas présent 1/ écrire une partition, puis 2/ la jouer au piano et 3/ l’enregistrer ; il n’y a que l’étape 3 pour laquelle je me déclare formellement incompétent, mais il m’est arrivé de faire comme si.

Or, s’agissant d’un motif musical introductif (ou jingle en bon français), la spécificité du timbre est au moins aussi importante que celle du contour mélodique ; en d’autres termes, quelque chose d’un peu plus inattendu que le piano aurait été souhaitable. Mon premier réflexe, dans ce genre de situation, est d’utiliser le marimba, un instrument magnifique permettant toutes sortes d’écritures. Oui sauf que, c’est une tellement bonne idée que je suis loin d’être le premier à l’avoir : depuis une quarantaine d’années, le marimba est devenu le signe par excellence de l’alibi exotique-moderniste, pour n’être plus aujourd’hui que celui de la paresse intellectuelle des Sound Designers De Tous Poils (SDDTP).

Une hypothèse un peu plus courageuse aurait été d’utiliser un instrument authentiquement passé de mode. Or, j’avais rédigé l’année précédente une suite de pièces pour clavecin seul, à l’intention du claveciniste émérite Richard Siegel ; même si ledit Richard n’avait pas eu l’air particulièrement enthousiasmé par ma partition, nous avions sympathisé autour d’un autre sujet : notre goût commun pour ce qui est de bidouiller des ordinateurs. (Et pour les kebabs et les jeux vidéos, mais on ne se connaissait pas encore si bien que cela à l’époque.)

Si j’étais un SDDTP, je pourrais ici rédiger tout un baratin pour expliquer combien le choix du clavecin pour un podcast scientifique est à la fois une audacieuse trouvaille et une adéquation évidente ; combien le choc cognitif résultant de la confrontation entre un instrument ancien et une écriture contemporaine est à l’image de la science elle-même, faite de lien avec le passé et de disruptions innovantes blablablabla, blablabla, blabla. Disons que c’est chose faite et passons à la suite ; la seule vérité étant évidemment que j’avais tout simplement envie de faire enfin jouer un peu de clavecin à Richard Siegel (ma tentative précédente en la matière ne s’étant guère avérée fructueuse).

Un jour où j’allais rendre visite à Richard autour d’une question de carte mère ou de pâte thermique, je rédigeai en chemin une brève séquence, sur un rythme dansant (fait de mélange ternaire/binaire, trochée/pyrrhique, de valeurs ajoutées, décrivez-le comme vous voudrez) et à base de quintes — et, plus discrètement, d’intervalles de couleur majeure : tierce majeure, septième majeure, sixte majeure. (Là encore, un SDDTP pourrait développer une bonne page de bullshit entrepreneurial-communicationnel pour expliquer combien ce motif réjouissant symbolise la joie de la connaissance, mais aussi combien les quintes représentent la logique inébranlable de la démarche scientifique, blablabla.)

Cette écriture tend à sonner plutôt bien au clavecin ; je l’avais déjà utilisée dans quelques-unes de mes pièces mentionnées plus haut, mais on la trouve évidemment bien avant moi, par exemple dans des partitions de Ligeti (je pense ici moins à Hungarian Rock qu’à l’étude Fém, que je jouais autrefois par cœur). Enfin, je découpai cette brève partition en plusieurs phrases, en me disant que les titres et annonces du podcast pourraient être insérées entre les séquences mélodiques.

Richard enregistra la piste sur son clavecin à plumes de vautour, et je l’envoyai illico à mon « commanditaire » Nicolas Graner. Hélas, ce dernier m’expliqua que son projet était plutôt de parler sur la musique, en faisant peu à peu baisser le volume du fond sonore (ou, pour le dire en bon français, fade out).

Cela posait deux nouveaux problèmes : tout d’abord, il allait falloir davantage de musique (voire de la musique qui puisse être répétée en boucle, pour s’adapter à la longueur nécessaire). L’autre problème est que le clavecin est un instrument à la sonorité très prégnante, où les attaques de chaque note et accord s’entendent et se remarquent (et risquent donc de distraire l’attention si l’on ajoute du texte parlé).

J’écrivis donc une partition plus longue, toujours en partant du motif que j’avais initialement rédigé, mais en le réservant pour la fin, et en annonçant tous ses éléments au préalable. Après un début dans l’aigu qui sert — tout comme avant — à saisir l’attention de l’auditeur (en très bon français, la captatio benevolentiae), la musique descend dès que possible dans le grave de l’instrument et s’y maintient pendant un long moment (ce qui permet d’obtenir une texture sonore plus adéquate à servir de fond sonore à de la voix parlée).

Même si l’écriture est ici très libre (et rédigée, pour tout avouer, d’un seul premier jet), j’utilise quand même quelques structures un tant soit peu rigoureuses : par exemple dans le découpage rythmique :

3 3 3 3 (2 mesures à 6/8)
2 3 3 2 (2 mesures à 5/8)
etc.

Rien de très remarquable, en tout cas. Là encore, je me sers du cycle des quintes pour parvenir à des superpositions harmoniques de plus en plus complexes et quelque peu « dissonantes » ; cependant les notes graves du clavecin sont ici assez indistinctes. (Et trahissent peut-être le fait que c’est un pianiste et non un claveciniste qui a écrit la partition…)

Rien ne me poussait à donner un titre à cette partition purement utilitaire ; je l’intitulai A generic impromptu (« un impromptu générique ») pour faire un (petit) jeu de mots, puisqu’elle n’a pas grand-chose de distinctif… et qu’elle doit servir de générique. Le jeu de mots fonctionne un peu mieux en anglais, où l’on adore utiliser des mots tels que generic ou basic pour se moquer des gens ou des idées un peu conventionnelles. Quant au terme d’impromptu, il me sert à reconnaître et excuser l’écriture très libre et informelle de la partition (contrairement à mes travaux habituels, extrêmement formalistes et contraints), rédigée ici au fil de la plume comme une improvisation sur le papier — ou plutôt en l’occurrence, dans le code LilyPond. Plutôt qu’à l’expressivité des impromptus de Chopin, Sibelius ou Poulenc, je pense ici à la légèreté de L’Impromptu de Versailles de Molière, qui m’a marqué quand j’étais petit.

Bref, j’apportai cette nouvelle version à Richard… lequel me déclara tout bonnement qu’il avait la flemme de l’apprendre lui-même pour la jouer correctement ; il me proposa donc de l’enregistrer avec lui. La version que je présente ici a donc été enregistrée par un duo de claviéristes, à une main chacun (si mes souvenirs sont bons, votre serviteur est la main droite).

Comme quoi.

Bonne lecture et bonne écoute !
Valentin.

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