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Danse Kàla

pour Tuba et piano

lundi 4 juillet 2011, par Valentin.

Cette pièce brève (mais périlleuse !) pour tuba et piano a été écrite entre 2009 et 2011.

Voici une pièce enlevée et peu sérieuse — le titre en témoigne... —, qui se joue en quatre minutes seulement... et m’a pourtant demandé près de deux ans et demi de travail. (Ce qui explique les très longues explications ci-dessous.)

La partie de tuba est éditée en Si♭ ; elle est jouable à l’euphonium mais convient peut-être mieux au saxhorn.

Cette pièce n’a pas encore été créée.

« Danse Kàla », pour tuba et piano
Licence CC-by-sa © Valentin Villenave, 2009-2011
« Danse Kàla », partie de tuba
Licence CC-by-sa © Valentin Villenave, 2009-2011

Présentation.

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Parlons tout haut, parlons tuba
Rien n’égale l’hypocrisie du monde de la musique, si ce n’est son iniquité. Écoutez un disque, allez voir un concert : vous serez probablement charmé de la cohésion de tous ces musiciens, unis dans leur amour de l’art de façon si harmonieuse. La vérité est qu’il n’en est rien : d’un instrumentiste à l’autre ne règnent que jalousie ou mépris (souvent les deux ensemble).

Non pas que le public soit, en aucune manière, plus aimable ou plus juste dans ses arrière-pensées : de même que l’on est ravi que les musiciens « professionnels » existent mais que l’on ne voudrait à aucun prix que son propre enfant s’égare dans cette voie funeste, de même l’on apprécie grandement d’aller écouter un grand orchestre mais l’on n’a pas d’estime particulière, par exemple, pour le troisième percussionniste dont le rôle se borne à attendre quarante minutes avant de donner un coup de triangle.

Non, ce qui plait, ce qui impressionne, ce sont les instruments virtuoses, ceux qu’on entend le mieux et qu’on remarque le plus. Allez dans n’importe quel conservatoire à l’époque des concours d’entrée : la foule se presse devant les classes de violon, de flûte, ou (dans le pire des cas) de trompette... alors que la classe de contrebasse ou de basson, pendant ce temps, peine à trouver ne serait-ce qu’une poignée de candidats. La règle est simple : plus les instruments sont graves, moins l’on veut en jouer1. C’est que dans « notre » imaginaire musical collectif, les instruments aigus c’est ça :

... et les instruments graves, c’est plutôt ça :

Ce préjugé n’est pas sans trouver quelque écho auprès des pianistes ; venez dans ce même conservatoire au moment, non pas des concours d’entrée, mais des examens de fin d’année cette fois : au moment où il faut trouver, pour tous ces élèves et tous ces instruments monodiques, des accompagnateurs. Les pianistes se jettent allègrement sur les classes de violon2, de violoncelle3, ou même de flûte4... mais vous ne trouverez personne débordant d’enthousiasme pour accompagner l’examen de trombone, de percussions... ou de tuba.

Et en général, c’est à ce moment que vous retrouverez mon numéro de téléphone.

La saison des tubas
Depuis mon plus jeune âge, j’ai eu la réputation d’accompagner ce que personne d’autre ne veut accompagner : tous les genres, tous les répertoires, toutes les conditions possibles (et souvent, impossibles). Ainsi, depuis quelques années je suis abonné à la classe de tuba de Claude Lherminier à St-Maur (94), dont j’accompagne régulièrement l’examen annuel. Depuis quelques années, le mois de juin est pour moi la saison des tubas.

Alors d’accord, cet instrument ne possède pas un répertoire immense, et l’on est toujours à peu près certain de tomber sur quelques partitions poussiéreuses, de pièces rédigées dans les années 1930-1960 par des profs du Conservatoire5, et dont, hum, la qualité musicale, comment dire, n’est pas... Euh, nous dirons que ce sont des pièces intéressantes, et restons-en là.

Au demeurant, on n’est à l’abri de ce type de répertoire dans aucun instrument (à l’exception du piano) : à chaque instrument son répertoire « dédié », d’un intérêt pédagogique et technique indéniable ; après, on fait avec ce qu’on a : si l’on est violoniste, ce sera Ysaïe, si l’on est tromboniste ce sera Grondahl, si l’on est, euh, ventiste en tout genre ce sera Tomasi...

(Et si l’on est pianiste, ce sera Chopin.)

(Je dis ça comme ça.)

Un chouette biniou
Mais pour être juste, le tuba est quand même un truc assez extraordinaire.

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Commençons par le plus remarquable : contrairement à la quasi-totalité des cuivres, le tuba sait jouer piano6. En classe d’orchestration, l’on vous recommande toujours de faire très attention au dosage des instruments ; ainsi, une clarinette produit une masse sonore comparable à deux flûtes, une trompette « vaut » trois clarinettes, un trombone, trois trompettes, etc. En gros, les cuivres sont considérablement plus massifs que les bois, et plus encore que les cordes ; mettre un trombone dans un quatuor à cordes, c’est un peu un tank dans un jeu de quilles.

Eh bien, pas le tuba.

Enfin, pas nécessairement. Le tuba (surtout le saxhorn) peut tout à fait « claquer » d’une façon comparable au trombone7, il peut également atteindre une douceur proche de celle du basson (en plus velouté).

Enfin, les ressources de l’instrument en termes de tessiture sont simplement ahurissantes : non seulement le tuba est parfaitement capable de monter très, très haut (presque autant que le basson), mais il accède sans problème à des notes extrêmement graves (sons fondamentaux ou sons pédales que l’on a davantage de mal à obtenir au trombone ou surtout au cor). Sa tessiture ne comprend quasiment pas de « trous » et l’on peut même demander toutes les nuances (forte ou piano) sur n’importe quelle note, qu’elle soit grave ou aigüe (ce que ne permettent pas beaucoup d’instruments : par exemple, la flûte ne peut pas jouer très fort dans le grave de sa tessiture, tandis que pour le hautbois c’est l’inverse).

Bref, c’est un instrument agile, plastique, flexible qui (à mon sens) pourrait et devrait être utilisé bien davantage.

(Même si bon, rien de tout cela ne vaut le piano.)

(Soyons sérieux.)

Historique.

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Devenu para-tubiste malgré moi, je me suis mis en devoir d’essayer d’écrire une pièce qui pourrait leur être utile. Nous étions au printemps 2009 et mon premier opéra, qui m’avait occupé ces quatre dernières années, était désormais derrière moi.

Dès le mois de février 2009, j’avais commencé à réfléchir à une pièce de musique de chambre destinée à quatre lycéens de Montpellier qui s’étaient adressés à moi après avoir assisté à une représentation de l’opéra. Cette pièce n’a jamais été menée à bien (en partie par ma faute), mais j’en ai gardé les idées principales pour cette pièce. Le motif principal, par exemple, est une écriture typique de trombone, très péplum :

De même, le motif d’accompagnement était originellement destiné au vibraphone (avec, évidemment, de nombreux problèmes d’équilibre sonore en perspective comme je l’expliquais plus haut). Cette formule est aussi employée (trop brièvement) par Maurice Ravel à la mesure 24 de Ondine, pour piano :

Pour la petite histoire, j’avais même envisagé un temps d’intituler la pièce « Danse Russe », parce que les initiales des quatre jeunes gens en question (CCCR) me rappelaient le nom russe de l’URSS.

J’ai donc trimballé cette pièce avec moi (littéralement, puisque mon cahier ne me quitte jamais) pendant plus de deux ans, recommençant tout du début, changeant d’idée, de tempo, de métrique, de hauteur, bloquant sur chaque mesure l’une après l’autre... Puis chronométrant ce que j’avais écrit et me désespérant de constater que ça n’aboutissait même pas à deux minutes de musique. Ainsi ai-je laissé passer la saison des tubas en 2009, puis en 2010, cependant que je restais bloqué sur une mesure ou une autre...

Jusqu’à ce qu’un évènement sans aucun rapport vienne me servir de leçon. Dans le monde des geeks, dont j’ai la faiblesse d’être un specimen, il est un sujet mythique depuis une bonne quinzaine d’années : le développement du jeu vidéo Duke Nukem Forever, projet somme-toute assez banal à l’origine, mais qui s’est distingué par l’avalanche de retards sous lesquels il a été englouti. En production depuis 1996, il a souffert de malchance, de démissions, du perfectionnisme déraisonnable de son concepteur G. Broussard, de procès et de rebondissements ; à tel point qu’il était devenu communément admis que ce jeu ne verrait jamais le jour. Or en juin 2011, précisément au moment où débutait pour moi la saison des tubas... Duke Nukem Forever est enfin paru. Enfin, le monde allait pouvoir découvrir pour quel jeu merveilleux il avait fallu attendre si longtemps !

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Ce fut un fiasco. Le jeu a été unanimement pourfendu par la critique, et je n’ai vu à ce jour aucun avis positif à son sujet.

Quelques jours après, je terminai ma pièce pour tuba et piano.

En une matinée.

Description.

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Avertissement : comme toujours, les quelques indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de la partition !

Écriture
Cette pièce se présente comme un mouvement unique, le tempo et la métrique variant assez peu. Ce principe d’écriture peut paraître simpliste (il l’est, objectivement), mais il m’a fallu de nombreux essais pour y parvenir : - À l’origine par exemple, la deuxième section (à partir de la mesure 43) devait se jouer une fois et demie plus vite ; en d’autres termes, les croches auraient été équivalentes à des triolets du mouvement initial — ce qui est d’ailleurs paradoxal, puisque l’écriture rythmique de cette section repose précisément sur des appuis toutes les trois croches en décalage avec la battue à la blanche. - Autre exemple, la section centrale (à partir de la mesure 93) était initialement écrite de façon beaucoup plus « contemporaine » : non mesurée, partiellement improvisée au tuba (avec des inflexions micro-intervalliques). Le piano était censé se contenter d’un trémolo indistinct sur le do central, teinté très légèrement avec le si et le reb pour créer un halo un peu étrange. - De même, les unités de mesure étaient très différentes d’une section à l’autre (par exemple la deuxième section était écrite à 2/4, 7/16 et non à la croche).

Après (littéralement) des mois d’hésitation et de tergiversation, j’ai fini par me rendre compte que tout cela n’apportait rien de véritablement intéressant ; j’ai donc tout réécrit de façon beaucoup plus cohérente, dans une seule métrique, en tâchant de faire confiance aux interprètes pour donner de la vie et du sens à la partition. Je me rends parfaitement compte que cela donne à mon écriture toutes les apparences d’un style réactionnaire, simpliste et paresseux (c’est un complexe dont je ne me suis jamais défait)8, mais bon zut flûte à la fin, quoi.

Les valeurs rythmiques utilisées sont donc extrêmement simples : des blanches, des noires, des croches au maximum. La seule exception se situe à peu près au milieu de la pièce, avec le triolet mesure 109... Pour la petite histoire, les quelques phrases de cette section « élégiaque » (c’est un grand mot, j’en conviens) font allusion au charmant Concerto pour flûte à bec du peu connu mais talentueux compositeur anglais Arnold Cooke (1906 — 2005).

Construction
L’écriture rythmique est scandée au moyen d’appuis irréguliers toutes les deux ou trois croches9 ; comme toujours dans ce genre de cas, il y a deux solutions : soit vous adaptez la mesure en utilisant des métriques irrégulières, soit vous restez dans un seul chiffre de mesure et vous laissez les motifs se décaler d’eux-même. Afin de faciliter la mise en place rythmique, la présente pièce fait intervenir tour à tour l’une et l’autre stratégie, selon la partie de piano.

En effet, dans toute pièce instrumentale avec piano — peu importe que vous baptisiez cela « accompagnement » ou « musique de chambre », d’ailleurs — les deux instrumentistes ne sont jamais à égalité : le Pianiste a sous les yeux la partie du Soliste et la sienne, tandis que le Soliste n’a que sa partie10. En d’autres termes, c’est le rôle du Pianiste de fixer les rendez-vous, de s’assurer que le Soliste s’y trouve bien au bon moment, et de rattraper les éventuels décalages. En l’occurrence, le découpage des mesures est donc calqué de bout en bout sur la partie de piano, le tubiste étant chaudement invité à se caler dessus11.

La pièce est construite en 4,2 sections de 42 mesures à 2/2 (pourquoi 42 ? Parce que.)12. La forme est elle-même très classique : construite plus ou moins en arche, avec une réexposition dans la quatrième section, donnée d’abord au piano.

La structure de la pièce s’appuie entièrement sur les deux motifs donnés par le tuba dès sa première intervention : une arpège style « péplum » (voir ci-dessus), et une descente en ligne brisée. Comme toujours, le but est de se limiter à un petit nombre d’éléments (rythmes, motifs, accords) reconnaissables, puis de les assembler de toutes les façons possibles.

En d’autres termes, finalement je n’ai pas fait grand chose.

Bonne lecture !
Valentin.


Cette pièce est désormais incluse dans un cycle de quatre pièces pour tuba et piano du même titre, que j’ai publiées ici.


[1À l’exception notable du violoncelle, qui pour des raisons historiques est nettement plus considéré que l’alto. Mais qui ne l’est pas ?

[2Aah, les sonates de Beethoven...

[3Ooh, le concerto de Chostakovitch...

[4Euh... Ibert ?

[5Marcel Bitsch, je te vois !

[6C’est-à-dire doucement.

[7Avec un peu moins de puissance que le trombone cependant. Le trombone est le seul instrument que j’aie jamais accompagné qui soit capable de couvrir le son d’un piano à queue jouant à pleine puissance. C’est très traumatisant. (Je comprends comment les harpistes doivent se sentir toute leur vie...)

[8Et toutes mes dénégations et mes tentatives d’expliquer qu’il est bien plus difficile de faire simple et de se limiter à des notations traditionnelles que de déployer de grands falbalas ultra-complexes ultra-contemporains, ne font rien pour arranger mon cas...

[9Procédé présenté et théorisé au XXe siècle par Olivier Messiaen, sous le nom de valeurs ajoutées, comme un apport des musiques extra-européennes (Océanie, Asie) ; on pourrait tout aussi bien y voir une survivance de la poésie antique, dont la métrique et la scansion ont d’ailleurs fortement inspiré « nos » prosodies classiques occidentales.

[10Ceci par tradition, et une tradition parfaitement débile si vous me demandez. Comment, vous ne m’aviez pas demandé ? Ah. Trop tard.

[11Et à se déboucher les oreilles au passage : le piano est un meuble très décoratif j’en conviens, mais il faut parfois l’écouter aussi !

[12Petite anecdote qui n’impressionne que moi, je me souviens m’être chronométré juste après avoir terminé la première section ; sans métronome et sans regarder ma montre, je m’étais dit que le tempo devrait être à peu près 84 à la blanche, et que de ce fait la première section devrait durer à peu près une minute. Ayant stoppé le chronomètre toujours sans le regarder, j’ai alors eu la surprise de voir qu’il indiquait le chiffre suivant :

1:00:00


J’ai été tellement fier que j’ai gardé le chronomètre plusieurs jours pour le montrer à ma famille... Mais comme je le disais, il semble que je sois le seul impressionné.

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